L’École joue un rôle essentiel dans la transmission de la mémoire auprès des élèves. A l’occasion du tricentenaire de sa naissance le 6 avril 1725 à Morosaglia, l’académie de Corse s’engage dans un cycle commémoratif destiné à faire partager l’œuvre de Pasquale Paoli.
Commémorer, pour une société, c’est acter qu’elle se souvient d’événements ou d’hommes, qu’elle cherche à les comprendre, à en perpétuer le message, à en tirer des leçons à rendre hommage. A partir de monuments, de lieux, de symboles, de dates référents et significatifs. La commémoration implique une relation affective au passé, qui active le souci de transmission.
Mais la mission de transmission des connaissances et de formation citoyenne qui lui est confiée exige que l’École donne du sens à toute commémoration, en veillant à la connaissance des faits et à leur compréhension. C’est par ce préalable que la commémoration prend tout son sens. On pourrait donner à l’acte pédagogique qui donne sens à la finalité commémorative le nom de travail de mémoire. Faire connaitre les faits et enseigner l’histoire pour éclairer le sens de la commémoration, tel est le travail de mémoire entrepris dans académie pour rendre hommage à Pasquale Paoli.
Cunnosce i fatti
En 1731, l’augmentation des impôts et de mauvaises récoltes provoquent en Corse des révoltes populaires contre le gouvernement génois. Les notables et le peuple, soutenus par le clergé, présentent leurs doléances, mais les tentatives de conciliation échouent. Les représentants de toutes les pièves se réunissent en Consulte et entrent en résistance.
Pour les combattre, Gênes fait appel à des puissances étrangères. L’Autriche et la France envoient des corps expéditionnaires. Dès 1734, la France constitue dans l’île un « parti français ».
En 1736, les insurgés Corses, soucieux d’être reconnus par les puissances européennes, et de se donner un pouvoir neutre, élisent un roi, l’aventurier Théodore de Neuhoff. Celui - ci établit une monarchie inspirée des Lumières, mais ne règne que six mois. Il doit fuir, rejeté par les principali et pourchassé par les Génois. La guerre continue car les insurgés tiennent l’intérieur de l’île sans parvenir à s’emparer des présides fidèles à Gênes.
En 1753 Giovan Pietro Gaffori, notable de Corte, est élu chef de la Nation Corse, mais il est assassiné sur ordre de Gênes. Les insurgés se cherchent un nouveau chef. Ils se tournent vers le jeune Pasquale Paoli, fils d’un des acteurs de la révolte de 1731.
Le 14 juillet 1755, lors de la consulte du couvent de Saint Antoine de la Casabianda, Paoli est élu « Général de la nation » (Capo Generale della Nazione) par ses partisans. Ceux de Gênes et ceux de la France contestent sont élection et demeurent actifs, notamment dans le sud de l’Ile, jusqu’à l’assassinat de leur chef, Mario Emmanuel Matra en 1757.
Les fondations d’un Etat souverain et indépendant sont posée. Une constitution est rédigée, un gouvernement s’installe à Corte au palazzu naziunale. Une administration, qui collecte l’impôt, assure l’ordre public, accompagne le développement économique, s’organise. A partir de 1763, le nouvel état bat monnaie (le soldo) ; en 1764 un journal officiel, les raguagli di Corsica est imprimé. L’université est créée à Corte en 1766.
La maitrise du territoire est presque totale : toutefois, malgré la fondation de l’Ile Rousse en 1761, les génois tiennent encore les ports, limitant la capacité du jeune état à recevoir un soutien extérieur. Néanmoins, Paoli tient tête à la puissance génoise, remportant d’importants succès militaires (Furiani, 1763, conquête de Capraia, 1767).
Mais en 1768, la République de Gênes cède ses droits sur la Corse à la France pour rembourser les dépenses engagées par la monarchie dans l’île depuis 40 ans. La France, qui vient de perdre ses colonies au Canada cherche à s’imposer en Méditerranée pour y combattre l’influence anglaise. Le traité de Versailles, que Paoli rejette immédiatement, entérine ce transfert de souveraineté.
Pour s’opposer à la conquête française, Paoli décrète la mobilisation générale. Les Français sont battus à la bataille de Borgo en 1768. Mais en 1769, l’armée royale reçoit de nombreux renforts (30.000 hommes) et écrase les troupes corses à la bataille de Ponte-Novu (8-9 mai 1769).
Paoli s’exile en Angleterre. Les notables corses se rallient au parti français pendant que le peuple, lassé par 40 ans de guerre subit l’arrivée du nouveau pouvoir. C’est la fin de la République Corse, après 15 ans d’existence.
Jusqu’en 1774 la guérilla paoliste continue dans l’île. Les troupes françaises pratiquent une sévère répression. Parallèlement la France de Louis XV et Louis XVI déploie une politique d’apaisement, favorisant la mise en valeur agricole,accordant la noblesse aux notables corses, comme les Bonaparte.
Quand éclate la Révolution de 1789, la Corse est devenue une province française : elle envoie 4 députés aux États Généraux. Les rebelles corses sont amnistiés et Paoli peut rentrer sur l'Ile en 1790, après 21 ans d’exil. Il est élu président du directoire départemental et commandant en chef de toutes les gardes nationales.
Cependant, les relations entre Paoli et la France se dégradent rapidement. En 1792, il se rapproche de l’Angleterre. Jugé contre-révolutionnaire il est déchu de son commandement, déclaré́ traitre à la République et décrété́ d'arrestation. En 1793, Paoli reprend le contrôle de la majorité́ de l'île, en sollicitant ouvertement l'aide anglaise. Les Français doivent quitter la Corse ; le royaume anglo-corse est proclamé le 15 juin 1794. Cet État durera jusqu'en août 1796. Néanmoins, les Anglais préoccupés par l’influence de Paoli, le font rappeler à Londres où il meurt en 1807.
Insignà a storia : schjarì u sensu di a vita è di l'opera di Pasquale Paoli
Paoli s’est formé à la pensée des hommes de la Renaissance et des Lumières, que les élèves de 5e, 4e connaissent bien. Machiavel, Montesquieu, Genovese, Rousseau, chacun à leur façon, s’interrogent sur la manière la plus juste de gouverner les hommes. La formation intellectuelle de Paoli s’est également nourrie d’une idée répandue dans l’Europe au XVIIIe siècle : la révolution peut avoir une action bienfaisante, lorsqu’elle conduit à remplacer un pouvoir injuste par un gouvernement stable, et pour assurer le bonheur des hommes. La Corse paoliste peut être comprise comme un lieu de concrétisation précoce de cette idée, présentée dans le préambule de la Constitution sous cette formulation : la Corse a reconquis sa liberté et désire « donner à son gouvernement une forme durable en le transformant en une constitution propre à assurer le bonheur de la Nation ». Le projet politique de Paoli s’inscrit dans le cycle de révolutions et de nouveaux gouvernements qui jalonne le XVIIIe siècle en Européen.
Le gouvernement paoliste associe, de façon originale, plusieurs traditions politiques que les élèves peuvent appréhender : un républicanisme, influencé par les doctrines de contrat social, reposant sur l’idée que l’État peut s’affirmer comme puissance pacificatrice contre les divisions internes. C’est à ce titre que Jean Jacques Rousseau est contacté en 1764 pour proposer des institutions politiques en Corse. Mais le projet repose aussi sur un pacte liant le dirigeant et son peuple, ce lien personnel étant garant d’un bon gouvernement. Les élèves doivent aussi savoir que la constitution paoliste ne se nourrit pas uniquement d’apports extérieurs : on y retrouve des institutions traditionnelles corses.
Évoquer les institutions, le choix d’une capitale, d’un drapeau, la fabrication d’une monnaie, la création d’une imprimerie, d’un journal officiel, la levée d’une armée, la construction d’une marine, le souci de former et d’instruire : tout ceci permet d’aborder la question de l’élaboration du droit dans un Etat moderne, fortement lié à l’affirmation de la souveraineté, de la légitimité et, en définitive, de l’affirmation politique et sociale de la nation. La précocité de la démarche doit être soulignée : les révolutionnaires américains et français après le renversement du pouvoir monarchique, se poseront les mêmes questions.
A ces aspects il faut ajouter la force de l’engagement, de la destinée personnelle et des rencontres. Paoli appartient à la série des chefs charismatiques du XVIIIe, Bonaparte, Toussaint Louverture ou Washington, que les élèves croisent dans les programmes. Mais son destin est singulier. Sa vie commence dans une Corse soulevée ; c’est par son père qu’il vit la révolte corse puis l’exil italien. Au retour dans l’île commence sa vie de penseur, d’homme d’action et de dirigeant que n’interrompt pas l’exil en Angleterre et en Ecosse, où sa cause est soutenue. Après son retour en Corse en 1790, la trajectoire politique passe par le rendez-vous avec la Révolution française ; elle se poursuit par la tentative d’union avec la monarchie britannique et le dernier exil. Elle est jalonnée de voyages, de rencontres et d’oppositions avec d’autres hommes illustres : Burke, Bonaparte, les Jacobins, les rois d’Angleterre. Cette vie corse et européenne doit être racontée aux élèves. Paoli est une figure héroïque, romanesque ; sa traversée du XVIIIe siècle est popularisée dans toute l’Europe par Voltaire, Rousseau et le récit de Boswell.
Cummemurà à Pasquale Paoli
Éclairés par leurs professeurs, les élèves de notre académie pourront donner libre cours à leur créativité, car les vecteurs et les supports de la commémoration sont innombrables : l’écriture, les arts visuels, la fabrication d’objets, la création audiovisuelle, l’expression corporelle sont autant de possibilités. Les lieux, les écrits, les images, les repères seront le point de départ de leurs démarches.
Les lieux en effet, ne manquent pas : la maison et la tombe de Morosaglia, Ponte Novu, l’Ile Rousse sont les traces conservées de Paoli dans le présent ; des rues, des places, des écoles, des collèges, une cité scolaire portent son nom et marquent sa présence ; des statues incarnent sa personne. Hors de Corse, l’abbaye de Westminster où il fut inhumé de 1807 à 1889 accueille un cénotaphe à son nom. A Rome, aux abords du Tibre, se trouve la piazza Pasquale Paoli ; Aux États Unis, 7 villes portent le nom de Paoli. Ces lieux témoignent d’une mémoire vive, qui ne s’est pas démentie depuis 1807.
Paoli, homme politique, est aussi une figure romanesque ; sa trajectoire est popularisée dans toute l’Europe par Voltaire, Rousseau et le récit de Boswell ; autant d’écrits qui pourront inspirer les élèves, tout comme les portraits, innombrables, la correspondance, foisonnante durant toute sa vie.
Commémorer, c’est aussi s’appuyer sur les repères qui scanderont le calendrier commémoratif académique : 30 janvier (1735) première proclamation de l’indépendance ; 5 avril (1725), naissance à Merusaglia ; 13 juin (1769), départ en exil ; le 14 juillet (1755), proclamation comme Général de la Nation corse ; 18 novembre (1755) adoption de la constitution. Autant de dates dont la signification et la portée pourront être évoquées dans nos classes, librement au choix du professeur ou par des séquences spécifiques, pouvant prendre appui sur les ressources élaborées spécialement par l’académie.
Le tricentenaire de la naissance de Pascal Paoli sera pour l’académie l’occasion de rendre hommage à un homme qui, en une vie, instaura une république et sa constitution ; fut en même temps un intellectuel, un combattant et un diplomate ; fut un exilé et un chef d’Etat ; fut un Corse et un Européen. C’est de son héritage, singulier et universel, que les élèves de Corse se feront les passeurs.
Mise à jour : février 2025